Devenir peinture

Rien chez elle ne semble forcé. Pas plus le sourire, le geste que le trait. La peinture est une « seconde nature », le pinceau un prolongement de son bras, elle n’a pas besoin de chercher des -sujets-. Chez elle tout « devient » peinture, ce qu’elle voit et ce qui la regarde de près. L’atelier de Pékin où elle travaille depuis deux mois est jonché d’images, de photos qui se regroupent au hasard, dans l’attente d’être choisies pour devenir peinture. Les châssis eux aussi semblent attendre que quelque chose se passe, que « cela se passe », qu’advienne ce devenir formel et mystérieux, comme s’il s’agissait d’un procédé de la nature. Si le format des toiles varie c’est pour à chaque fois interroger la perception sensible dans un accord avec l’espace, puis et surtout ne pas s’enfermer dans un système. Les plus petits formats s’ils servent parfois d’études pour les grands, n’en sont pas moins empreints d’une matière atmosphérique exceptionnelle. Peinture poreuse, sensuelle. L’artiste peint avec son corps, sa peau. Mais cette sensualité se maintient à distance d’elle-même et demeure presque en retrait, au sein de compositions savamment élaborées. Le geste de l’artiste cherche, il s’apparente à celui de l’architecte ou du metteur en scène, d’où le thème récurrent des maisons et des intérieurs. Des états psychiques subtils ordonnent ces espaces ; architectures mentales dans lesquelles il semble interdit d’entrer.

Inquiétude ? La peinture est une façon de lutter contre ses démons et de posséder autant qu’on le peut un monde qui échappe. Peut-être faire entrer son monde dans la toile afin qu’il devienne un monde en lui-même, magnétique, irréel, obéissant aux rythmes des transformations de la lumière et du pinceau. Elle aime Velasquez…et Fra Angelico.

A Yishu 8, l’atelier est devenu un point de rencontres entre ce qu’elle a apporté avec elle (images, souvenirs, sensations) et ce que lui offre cette vie nouvelle, au cœur d’un Pékin traditionnel.

De silencieuses correspondances se sont établies, comme si elle se sentait un peu chez elle en Chine, à l’abri des regards habituels, touchée par la réalité brute et vivante des ruelles- hutongs-. Nous sommes aujourd’hui en Chine, mais chez Nathanaëlle Herbelin, avec elle, l’on peint pour se sentir moins seule, et l’on regarde la peinture pour les mêmes raisons. Entrer sans effraction dans une maison, mais s’agit-il d’entrer ? Cette peinture nous inviterait plutôt à rester au seuil, à l’arrêt, derrière ces emmarchements si répandus en Chine dans les temples et les maisons traditionnelles, et qui marquent la délimitation des espaces. La Chine ne se donne pas au premier coup d’œil, la peinture de Nathanaëlle Herbelin non plus. Cette peinture qui invite à l’immobilité, nous convoque en territoire neutre, avant tout évènement, il va s’agir de neutraliser ce qui existe dans le réel pour que « cela » existe davantage. Regard de chat qui voit dans la nuit et la préfère au jour, un peu trop évident et primaire. Dans un petit tableau aux tons « velasqueziens », six chats du quartier semblent au spectacle, nous ne voyons pas leurs yeux mais à leur attitude dans l’espace, l’on perçoit leur qualité d’attention. Trois chats postés au premier plan regardent le monde à travers leurs doubles situés de l’autre côté d’une zone grise qui délimite deux lieux. Dans ce dédoublement non mimétique s’opère un écart qui nous interdit de voir, nous ne verrons pas plus ce que voient les chats du second plan que les chats eux-mêmes qui ne s’offrent que de dos. Chacun se tient au seuil, à l’extrême limite du visible, prêt à quitter la toile, devenu tableau. Le chat est désormais une touche blanche, grise et noire, il est « redevenu peinture », présence atmosphérique, retour à la matière et à la sensation.

Christine Cayol, janvier 2020